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Hiver 1994, ce n'est pas hier !

J'allais tranquillement sur mes 18 ans et c'est avec une pincée de cynisme que je m'amusais de « l'affaire » qui occupait l'opinion et les media. Une patineuse que je ne connaissais pas avait fracassé les jambes de sa principale concurrente. L'agresseuse n'était pas jolie, revencharde et avait tout d'une plouc, tandis que la victime était une jeune femme aux allures de princesse kitch, dans sa robe blanche sur laquelle retombaient de longs cheveux bruns. Elle pleurait tant qu'elle déchirait les cœurs dans les chaumières branchées sur les journaux télévisés de la poignée de chaînes dont nous disposions à cette époque. La meilleure des sitcoms se jouait chaque soir alimentant les commentaires et provoquant les passions. La télé-réalité n'existait pas.

 

Hiver 2018, outre un brutal coup de vieux, je revois l'histoire se réactiver et les commentaires ressortir comme si ils avaient été seulement mis en suspens, congelés sous les successions de scandales : Clinton, O.J Simpson, Tyson, Zidane, Cahuzac, Loanna... tout étant mis sur le même rang d'une logique de tabloïds, on a les histoires que l'on mérite.

 

Fin février, donc, la passion renaît à la faveur d'un film consacré à la vilaine fille adepte de la barre de fer autant que du patin.

Réalisé par Craig Gillepsie à qui on ne doit pas grand chose hormis une comédie douce-amère avec Ryan Gosling (Une fiancée pas comme les autres), qui offrait à son interprète une formidable occasion d'user et d'abuser de son charisme dépressif, il étonne ici avec un sens du rythme et un sens de l'humour gentiment rock'n roll.

 

En connivence avec le spectateur, Moi Tonya prétend retracer à gros traits la vie de la patineuse au travers de la supposée objectivité du témoignage. La précaution prise en préambule insistant sur l'ironie du projet.

S'ensuit alors l'échantillonage complet des ficelles du biopic, toutes soigneusement passées à la moulinette de l'humour grinçant du scénariste et du réalisateur qui n'hésite jamais à grossir le trait et à inonder son film d'une musique criarde comme les robes et le maquillage de son héroïne.

Car, au-delà de la blague, Moi Tonya, traite Tonya Harding en véritable heroïne qui nous touche par sa spontanéité et son désir d'être reconnue. Elle ne revendique pas son milieu social, elle n'y pense même pas. Ce qu'elle souhaite, c'est être considérée comme la grande sportive qu'elle est. C'est au contraire le reste du monde qui voit en elle une pauvre petite fille de l'Oregon, désargentée et sans père, flanquée d'une mère violente. Tonya ne se voit ni princesse de la glace ni victime de la vie, le patinage n'est pas politique, c'est du sport.

La comédie prend alors un tournant en allant contre son personnage et en devenant elle-même politique. Elle brasse les hypocrisies, l'apparence trompeuse de la morale américaine, les luttes de classes qui s'exercent dans un système de castes qu'aucune démocratie n'accepte de voir en elle. Elle ne choisit pas entre le voyeurisme médiatique et les acteurs du drame souvent prêts à profiter de l'exposition qui leur est subitement offerte. Tout cela fait partie d'une même mécanique dans laquelle il n'y a que des complices.

Formidable mise en abîme, le film use de ce principe en nous rendant complice de sa propre farce et nous conduit dans ce qu'il y a de plus cynique en nous, nous renvoyant à notre propre fascination pour cette vieille histoire à laquelle nous avons été confrontés que nous le voulions ou non.

 

Moi Tonya, est un film virevoltant comme une patineuse à paillettes, il file en tournant sur lui-même, chargé de kitch, non pas parce que c'est drôle mais parce que c'est son goût. Il saisit le mensonge comme un élément parfois révélateur de ce qu'il y a de plus sincère en l'homme. Il déclare son amour pour une Tonya en lutte avec toutes les forces qui s'opposent à elle. Lutte constante et sans fin qui n'épuise jamais une femme qui nous apparaît soudain différente et provoque chez le spectateur le sentiment d'avoir assisté à un très bon feel-good movie plein de rage et de boue. Presque rock.

 

S.D

Vu au Cinéma

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