Ce n'est pas rien d'aborder un disque comme Dusty Shelters.

Les pistes se tracent, les univers s'entrecroisent, les souvenirs percutent le futur ; et nous, dans notre présent, sommes bousculés dans les effondrements et les constructions que cet album enchasse comme si le tout et le rien n'étaient que d'un seul tenant. Comme dit le second titre, il faut oublier et espérer. Il faut faire de ses souvenirs un tombeau et croire dans l'avenir que nous propose le 6tet d'Anne Quillier.

Les clarinettes sous effets de Pierre Horckmans trompent leur monde. Elles sont le voile d'une musique qui cache sa vérité. La langue bégaie avant d'être emportée par la trompette d'Aurélien Joly qui viendra percuter les saxos de Gregory Sallet. Comment saisir un monde qui bute ? Comment calmer un environnement qui bat comme un cœur qui fibrille ? Les lignes de la contrebasse de Michel Molines résonnent dans ces abris et font valser la poussière pour ramener la mémoire au centre d'un microcosme prenant sous nos yeux la forme d'un monde nouveau.

Car c'est par les yeux que l'on peut entrer dans ces Dusty Shelters. En les fermants, en laissant les images qui se dessinent prendre forme. Les claviers d'Anne Quillier participent de cette tempête. Ils ajoutent à la révolution d'une musique synesthésique.

Le monde vrombit. Il est quasiment désert et son peuplement inquiet. « Man in the street » clos l'album. Pourquoi le singulier ?

Lorsque j'écoute les disques de la galaxie d'Anne Quillier, je pense à Chris Marker, je songe à sa Jetée. Je ne sais jamais très bien dans quelle dimension ces disques m'emmène mais j'en perçois les enjeux. Le monde tonne au dehors, les chiens aboient ou dorment, parfois les deux en même temps. Avec Dusty Shelters, ce monde est vide. Vide de culture (Qulture. Dédié à Franck lepage), vide d'humain, vide de continuité.Comme si il avait cessé de croire, cessé d'espérer. Ce monde s'est arrêté, las.

Et l'espoir alors ? Il vient de cette musique, de ces claviers. De cette batterie qui fera sauter les murs à force de tremblements.

Dusty Shelters est un disque inquiet mais qui construit son espoir. Un disque qui brise les silences et fait tomber les paravents. Ni temps, ni espace n'ont de prise sur son environnement. C'est un disque-monde, un disque fait d'une musique qui emprunte à la contre-culture, qui joue des conventions et les retourne pour en créer de plus belles. Dusty Shelters, c'est la beauté d'une angoisse mutée en source d'un nouvel espoir.

 

S.D