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La Suisse. Son évocation nous renvoie à un chocolat au lait fondant, une boîte à l'obscure laideur qui fait vrombir entre 2 tic-tac un mécanisme tonitruant laissant apparaître un minuscule oiseau dont le rugissement nous soulage de ne pas avoir à le croiser sur les rives du Léman. C'est encore aux montres que l'on songe, à ces paysages bucoliques dans lesquelles paissent quelques vaches imperturbables et aux cités maculées à l'ordre légendaire. Et pourtant. Musicalement, la Suisse a donné naissance à quelques trublions qui ne semblent pas s'émouvoir de tout cela. Non, je ne parle du barde de Münchenbuchsee qui voulait déjeuner en paix; mais de gens disons le, moins polis, mais tout aussi artistes. Les Young Gods bien sûr, Knut (Ah! Knut. Il faudra revenir sur leur cas un jour.), Mama Rosin, plus récemment Solange la Frange, et les sympathiques Kruger ou encore Nostromo. Au milieu de cette faune musicalement hétéroclite, il se trouve un groupe de Stoner qui n'a pas eu souvent les faveurs de ses voisins français: Monkey3. Or, il s'avère que le groupe de Lausanne fait l'actualité ces temps-ci avec la sortie de son nouvel album "The 5th sun" qui joue dans la cour des très grands. Si le son reste brut et sans ambages; il affirme néanmoins des velléités qui le pousse dans un psychédélisme et un lyrisme qui verse dans le grandiose. "The 5th sun" n'est pas le genre d'album qui se dévoile en un titre, et il faudra à l'auditeur une patience d'ange pour que le charme vénéneux s'infiltre en lui au cours des écoutes successives qui s'imposeront d'elles-même. Ecoutez cet extrait de l'album en question et précipitez-vous dans les bacs si vous aimez être secoué et transporté dans des univers musicaux en perpétuel mouvement et en en horizons changeants. Dans ce cas, tous les disques de Monkey3 sont fait pour vous, à commencer par "the 5th sun".

S.D

Monkey 3 

The 5th Sun

 

Monkey 3 

The 5th Sun

 

GuillaumeDepardieu

Post Mortem

 

 

Il s'agit véritablement d'une voix d'outre-tombe qui s'échappe du bien nommé "Post-Mortem". Guillaume Depardieu nous a quitté en 2008 et si l'on était certains de ses talents de comédiens (il suffit de revoir Pola X pour comprendre toute la rage contenue dans son jeu), il restait à se laisser convaincre par ceux du chanteur. Entouré de Vincent Segal et de Renaud Letang, il met sa personnalité à fleur de peau au service d'un album qui en fait un proche cousin de ceux de Daniel Darc. On y reconnait également les influences bienveillantes de Gainsbourg et Bashung, mais c'est celle de Philippe Léotard qui frappe le plus. Même sens de la poésie du désespoir, de la sincérité égocentriquement malveilllante, et des voyages musicaux comme fuite en avant. Car, ce Depardieu là à décidé de régler ses comptes avec lui même avant de les régler avec un monde qui lui reste sourd. Incompatible avec tout (l'amour, son corps, le monde...), il cherche à travers Post Mortem à réconcilier l'impossible avec son âme. En quête de reconnaissance et de paix, Depardieu, comme Darc, a trouvé la formule de son apaisement juste à la frontière entre sa Vie et sa Mort. Trop tard pensez-vous? Juste à temps au contraire. Et ce luxe là, il nous le transmet aujourd'hui de la plus belle des manières puisque Post-Mortem est un album sublime et précieux. 
Une leçon de vie, d'humanité et de courage, qui met la sincérité au coeur du projet quitte une fois de plus à ne pas plaire. Sur ce point, c'est l'inverse qui se passe. On aime, on aime, on aime.....

 

​S.D

Psykick Lyrikah

Jamais trop tard

 

 

Si Iam et NTM ont mis le rap sur la carte des musiques hexagonales, depuis de l'eau a coulé sous les ponts et bon nombre d'artistes ont laissé des marques dans un genre qui compte un grand nombre de courants et une diversité fascinante. De la Rumeur à Joke en passant par Nasser ou encore Rocé, les albums de haute tenue se sont succédés dans les bacs cette année mais n'ont pas toujours connu les faveurs du public a priori plus en raccord avec les enfantillages et les textes approximatifs de Booba, La fouine et Rhoff. Gageons que le nouvel album de Psykick Lyrikah changera cet état de fait à la dernière minute d'une année qui n 'en finit pas de finir. Car leur album "Jamais trop tard" est à la hauteur d'une discographie qui mériterait d'être révisée par les amateurs de hip-hop. Les textes sombres et l'écriture au scalpel tranche dans le vif d'une société paradoxale bien éloignée du manichéisme habituel de la chanson française. Si on frôle parfois le nihilisme de Fauve ou de Mendelson, c'est pour mieux continuer à descendre au coeur de ce qui fait l'homme; jusqu'à en trouver la lumière.Un mot encore sur les instrumentations, qui sont comme à l'accoutumée parfaites. Sans illustrer des mots qui trouvent suffisamment de force en eux-même, elles jouent le rôle essentiel et souvent oublié de la bande-son de ce qui se déroule autour d'elle. En d'autres mots, elles résonnent dans le paysage des textes et donne à voir une profondeur de champ dans lequel se déroule encore mille choses. "Jamais trop tard" est donc un album riche et rare. Un de ceux que l'on ne raterait pour rien au monde puisque, cerise sur le gâteau, il contient parmi les textes les mieux écrits en langue française tous genres confondus depuis des mois.

​S.D

M.I.A a trouvé au Brésil une activiste musicale à sa hauteur. Mélangeant les genres et les techniques, Karol Conka s'affiche déjà comme la reine du Hip-Hop hardcore lusophone. Avec des sonorités entre une post modernité apocalyptique (les basses sont d'une puissance dévastatrices et explosent les paysages qu'elles traversent) et un déluge de percussions empruntées à la tradition, elle secoue violemment le pays de tous les contrastes. De la vulgarité du bling bling des jeunes nantis brésiliens à la colère du peuple des favellas, elle réalise un mix tout en paradoxe. Irritant autant qu'il fascine, son album "Batukfreak" est le parfait résumé de cette batucada devenue monstrueuse à force d'injustices et de violences. Karol Conka maîtrise son sujet jusqu'au bout en y intégrant les rythmes populaires sur lesquels elle plaque un rap transgressif et enragé. Mais, attention, la jeune brésilienne n'est pas une copie de l'artiste anglaise d'origine Tamoul, elle défend son identité et celle de sa musique grâce à une expérience de la scène qui s'apparente à du happening. Voyez et écoutez ce titre pour vous convaincre de toute l'urgence que contient "Batukfreak", un disque qui réchauffe notre hiver par sa révolte et son envie d'en découdre. Et pour ne rien gâcher, placez quelques titres sur votre platine et vous serez pris d'une furieuse envie de danser. Karol Conka mérite mieux que la confidentialité à laquelle elle semble prédestinée dans nos contrées européennes. Faites tourner.

​S.D

Karol Conka

Batuk Freak

 

 

San Fermin

San Fermin

 

 

Imaginez un doux-dingue capable de triturer la mélancolie des Tindersticks en une pop orchestrale totalement folle digne de Sufjan Stevens. C'est ce qu'à réalisé cette année San Fermin avec son album éponyme. Originaire de Brooklyn (ceci explique peut-être cela) sa voix va même jusqu'à évoquer parfois celle de Matt Berninger (The National). 
On assiste donc à une déferlante de tristesse sur fonds de choeurs féminins et de piano oscillant entre l'outil mélodique et la percussion pure et simple. Les cuivres, eux, couvrent l'ensemble en une symphonie entièrement dédiée à cette mélancolie ambiante. Comme si pour San Fermin, le comble de la joie et du bonheur était d'être triste. Mais triste de quoi au juste? D'histoires d'amour qui brisent les coeurs? Du sentiment d'être comme le taureau de cette sublime pochette: prêt à en découdre mais de toute façon sacrifié? De l'identité qui se dilue dans une Amérique qui n'a plus d'illusions? 
Tout cela finalement. Et ce "tout" fait de San Fermin un très grand disque.

​S.D

Wooden Shjips

Back to land

 

 

Après avoir effectué une écoute rapide du "Back to Land" de Wooden Shjips il y a quelques semaines, je m'étais promis de retourner à cet album avec un peu plus d'attention. Et puis les jours ont passé avant que je mette enfin cette résolution à bien. 
Pour avoir déjà passé en revue la discographie du groupe (je considère "West" comme un chef d'oeuvre), je rentrais donc en territoire connu. Je savais que des nappes de claviers couvriraient une nappe de guitares mais qu'une cette dernière prendrait tôt ou tard sa revanche. Je savais aussi que la rythmique implacable se terrerait quelque part derrière cet amas de musique rugueuse dont on ne sait plus très bien si elle est d'hier ou d'aujourd'hui, et de quelle matière elle est faite. Est-ce du métal? Du minéral? Une musique évanescente? Tout cela à la fois je crois. Comme souvent dans le rock psyché l'aérien est primordial. Sauf que les Wooden Shjips ont écouté entre temps des groupes comme Sonic Youth et My Bloody Valentine. Ils ont donc appris à fusionner les éléments. A faire du froid avec le feu, à faire du chaud avec la glace. Ils savent que rien ne distingue le métal rouillé d'une roche ocre. Alors ils en jouent. Ils brouillent les pistes et créent des paysages de toutes pièces. On se réjouit alors de voir se dessiner sous nos yeux des volutes qui mutent en pierres au grès de voix qui se noient dans l'ouragan instrumental qui les emporte dans des cimes qu'elles n'imaginaient même pas atteindre. 
"Back to land" est donc un album en perpétuel mouvement, toujours en suspension. Un disque magnifique qui casse les lignes du temps, de l'espace et du visuel.

​S.D

Neko Case

The worse thingsget, the harder I fight, the harder I fight, the more I love you

Certains appellent ça la résilience, d'autre la foi. Ne partageant de conviction ni pour une hypothèse, ni pour l'autre, je me contente d'admirer le courage et la grandeur d'âme de ces artistes capables de produire des albums dans des périodes de deuil et de difficultés personnelles parfois inimaginables. Ce fut le cas déjà il y a quelques mois avec le dernier album de Girls in Hawaï, disque enfanté dans la douleur du deuil de l'un des membres. 
Depuis quelques semaines, on assiste au retour de la merveilleuse voix Country / Folk de Neko Case qui elle aussi, nous offre avec un courage sans nom, un album (The worse things get, the harder I fight, the more I love...) qui murmure de douleur contenue le triple deuil de la chanteuse et lui offre l'occasion de revenir sur la difficile relation qu'elle a entretenue toute sa vie avec ses parents. 
Comment donc faire plus intime sans jamais céder au voyeurisme? Par le jeu d'une grâce dont Neko Case a le secret à l'instar de sa consoeur Cat Power avec laquelle elle partage un sens de l'intime et de la chaleur humaine qui vise droit au coeur sans jamais oublier l'esprit, l'âme de leur musique. 
Un morceau comme "City Swans" rempli de métaphores, ou un "Night still comes" qui traite frontalement de la douleur, tous les titres traitent dans un ensemble fabuleux, de méandres et, de force et de complexité qui font la Vie elle même. 
On ne remerciera jamais assez ces artistes comme Neko Case de se battre, de faire exister leur musique pour que nous, auditeurs, soyons à ce point bouleversés et rempli d'une force obscure pour certains, mystique pour d'autres, ce que l'on appelle communément (et fournie ici dans son sens le plus stricte et le plus poétique): l'Empathie.

​S.D

 

Love

Forever Changes

Ce matin, je suis parti du principe que la période des fêtes n'est pas vraiment propice à la sortie de grands disques. Alors, je me suis posé cette question banale que tout le monde se pose un jour: "Quel est LE disque que tu emmènerais avec toi sur une île déserte?". 
Et je dois avouer que dans mon cas, la réponse n'est rien d'autre qu'une évidence. De sa pochette que je compte parmi mes préférées, de ce son parfait qui respire la justice entre chaque instruments, chaque voix, cette production qui laisse entendre chaque vibration des cordes des guitares sans laisser les cuivres couvrir le reste, la voix d'Arthur Lee qui reste l'une des plus pure et les plus expressive que je connaisse. Chaque chanson de "Forever Changes" de Love est un exemple de justice et d'héroïsme musical. Tout y paraît libre. 
A l'image de son époque coincée entre son désir de totale liberté et de luttes permanentes (pour des droits élémentaires, contre les guerres, contre les classes....), "Forever Changes " croit vraiment que "the times they are a changin'" comme le disait Dylan 3 ans plus tôt. 
Et puis, soudain, le doute nous envahit: cette pochette, ce portrait d'un groupe conquérant au verso, ce chanteur noir semblant défier le monde, ces chansons lumineuses empruntes pourtant d'une certaine tristesse. Est-ce que le monde change vraiment? Est-il vraiment en marche? La Californie chantée par le groupe n'est-elle pas le leurre qui brise les révolutions? 
A l'écoute de cet album (qui fêtera ses 50 ans en 2014), on sent poindre la tragédie qui s'abattra sur le groupe, puis sur Arthur Lee (l'anti-héros le plus fascinant de l'histoire du rock). Parce que l'on sait rétrospectivement qu'Elektra (le label) lui préférera la poésie convenue et la provocation rentable de The Doors et de son chanteur blanc charismatique. "Forever Changes" est donc un disque tragique, fait de contrastes et d'oxymores, où la lumière cache plus de choses qu'elle n'en dévoile. C'est une suite de morceaux qui ne se substituent jamais les uns aux autres mais se complètent et forment une harmonie; bref, un album dans ce que ça comporte de plus vrai et de plus essentiel. 
Donc, c'est bien l'évidence en ce qui me concerne: s'il ne fallait ne garder qu'un ce serait bien celui-ci.

​S.D

The KVB

Minus One

Une force tellurique s'est abattu sur les bacs en cette fin d'année. Un coup de semonce dont la détonation nous parvient aujourd'hui grâce à l'assentiment d'Anton Newcombe ( Brian Jonestown Massacre) qui adoube et produit même ce "Minus One" de The KVB. 

Si les guitares stridentes et les voix d'outre-tombes évoquent Spacemen 3 ou My Bloody Valentine, il faudra compter avec d'autres réminiscences qui invoqueront Jesus & Mary Chain, Echo & the bunnymen ou This Mortal Coil. 

C'est dire si la parentée est lourde à porter et qu'il faut un sacré culot et une bonne dose de folie pour oser s'attaquer au shoegazing dans une époque comme la nôtre qui enfante la superficialité au mètre et la citation comme unique mode de création. 

Pour notre plus grande chance, KVB possède les deux. Fou à lier et encombré d'une volonté d'envoyer le Monde paître dans des paturages asséchés, le groupe à, en outre une propension à laisser échapper un fiel et une angoisse qu'il partage avec un plaisir presque sadique. 

Anxiogène donc, profondément nihiliste et pourtant créateur de textures qui éliment l'âme autant qu'elles la nourrissent, Minus One possède le charme vénéneux des grands disques masochistes et apocalyptiques.

On ne s'empêchera pas de penser que si les abîmes dans lesquels il nous plonge continuent de croître au fil des titres, c'est pour atteindre un état d'inconfort et de plénitude dans le même temps.

Au final, Minus One est un peu comme les limbes couchées sur disque, un entre-deux, un clair-obscur qu'il faudra apprendre à déchiffrer pour en saisir toutes les images. 

 

​S.D

Blacklarsen

The Line which divides Life from Death

Ils le disent eux-même: les Blacklarsen sont "fascinés par la schizophrénie de notre époque". 

Rien d'étonnant donc à retrouver sur leur second album (on avait déjà beaucoup aimé "Li(v)es on Fire" ) ce mélange  de fougue électrique et de tristesse insondable. Les guitares hurlent sans cesse d'une douleur contenue pendant que la voix ne sait plus si elle doit panser les plaies ou se résigner à les voir inéxorablement se rouvrir. 

On n'aime pas Blacklarsen parce que Saint Etienne porte son ombre sur eux, on les aime parce qu'ils nous rappelle que l'energie est la valeur première de ce genre de rock emprunté aux premiers albums de Radiohead ou Rise. Cette tristesse accablante qui hante des morceaux qui aimeraient pourtant tirer vers la Vie, cette mélancolie poisse qui rend souvent les choses plus belles qu'elles ne le sont. 

C'est ce regard d'enfants tristes que nous aimons chez Blacklarsen, ce refus d'une musique martiale, ce petit rien que leur musique perçoit quand tant d'autres passent à côté. 

 

Alors, on reste avec le groupe, debout sur cette ligne frontière entre la Vie et la Mort, et comme eux, emporté par une musique lancinante, nous attendons de savoir de quel côté penchera la balance. 

Un indice peut-être: la pochette, comme un instantané brûlé de l'instant de l'Apocalypse. 

 

N'hésitez pas à faire un tour sur le site du groupe pour savoir comment vous procurer l'album. 

http://blacklarsen.com/WordPress3/

 

 

S.D

The Field

Cupid's Head

Les boucles angoissantes dont The Field s'est fait la spécialité marquent son dernier album "Cupid's Head" de stigmates tenaces. Le son est lourd, la répétition assène ses coups comme une presse qui pousse plus loin chaque fois l'émotion au coeur du corps qui la reçoit.

La musique du berlinois d'adoption est plus organique qu'il n'y parait. Calquée sur le rythme cardiaque, elle est un organisme mouvant qui aspire à une liberté dont l'esprit ne le laisse pas jouir. "Cupid's Head", c'est la dictature d'une raison kafkaïenne (celle qui tourne en boucle et impose son rythme et sa logique parfois absurde) sur le vivant (la mélodie coincée dans des beats omniprésents.)

Voilà quelques semaines que ce disque obsède ma platine et ce n'est pas prêt de s'arrêter. Il est comme l'évidence dangereuse de toutes les violences. Il s'immisce littéralement en l'auditeur grâce à sa puissance et sa façon maline de laisser échapper des bribes mélodieuses qui nous accrochent au delà du mur qui les encercle. 

Comme chez Matthew Dear, la frontière est mince entre la folie de cette musique sourde qui tourne jusqu'à devenir l'ombre d'elle-même, et la beauté qui tente de transpercer les apparences. Et il arrive toujours cet instant où l'éclosion a lieu, quand l'harmonie brise son carcan et c'est là la force de ce disque: assister à la libération du beau. 

 

Pour conclure, "Cupid's Head" est la transposition parfaite de la phrase de Bergson (mise en exergue de ce site): "L'Art vise à imprimer en nous des sentiments plutôt qu'à les exprimer". 

 

 

 

S.D

Tamikrest 

Chatma

 

En Touareg, "Tamikrest" a une signification multiple: ce sont les idées de cohésion mais aussi d'avenir qui sont signifiées dans ce mot. Une idée magnifique donc de nommer le groupe de la sorte en profitant de la poésie que lui offrait la langue pour exprimer un spectre aussi large en un seul vocable. 

Toujours dans le registre linguistique, le titre de l'album "Chatma" signifie la Femme. Et c'est là que le lien se fait.

La musique de Tamikrest est un mélange de blues, de rock et de tradition nord africaine. L'idée d'ouverture est transposée dans une musique envoûtante qui nous parvient comme une évidence puisqu'elle puise dans le creuset de notre culture musicale occidentale. Et puis, il y a le chant dans lequel, comme toujours,  la mixité est poussée à son paroxysme. Voix d'hommes, de femmes, choeurs; l'assemblage des tessitures forment un être sans distinction de sexe. 

On en revient alors au titre de l'album qui se présente comme un hommage aux femmes Touaregs, celles qui luttent vraiment dans les changements qui s'opèrent contre elles ces derniers temps. Tamikrest + Chatma, c'est donc l'idée que la cohésion d'un peuple le pousse vers un avenir. Cependant, ni cette cohésion (ce noeud comme on le traduit aussi parfois sur internet), ni cet avenir n'ont de sens s'ils ne sont pas dans une logique qui intègre pleinement les femmes à l'égal de l'homme. Il faut ici se souvenir d'une chose importante: la société Touareg est un système matriarcal, l'un des derniers et aussi le plus violemment menacé depuis quelques années. 

Chatma est donc un album au courage artistisque mais aussi politique immense. C'est un acte de foi dans l'identité d'un peuple qui intègre le Monde avec des idées simples, fortes et pleines d'espoir. C'est encore une musique riche qui croise les languages, les cultures. Une musique qui sait se faire l'image d'un Monde menaçant certe, mais rempli de beauté. Les Tamikrest ont choisit de ne porter sur lui que ce deuxième regard. Et ce sont eux qui ont sans doute raison. 

Pour tout cela, donc, Tamikrest est précieux et "Chatma" est leur meilleur album. 

 

 

Vous avez peut-être déjà entendu le titre proposé ci-contre si vous écoutez Radio Glasba. L'album est disponible depuis septembre. Vous le trouverez donc sans difficultés. 

 

 

 

S.D

Childish Gambino 

Because The Internet

 

Des basses puissantes, un flow limpide Ã  vitesse variable et désabusé, ici un piano, là une voix féminine. Childish Gambino brouille les pistes. Soul? Rap? RN'B? L'album est un modèle transgenre qui vit son époque sans joie. Si les genres s'effacent dans la production musicale, c'est parce qu'il sont à l'image du monde dans lequel la musique, les artistes et l'humain évoluent. Plus on voit, plus on entend, et moins on voit, moins on écoute. Serge Daney disait que montrer ce n'était pas représenter. Childish Gambino prend la sentence au pied de la lettre et montre sans représenter: son époque, sa génération, celle qui ne sait plus si elle existe ou si elle n'est qu'une représentation de ce qu'était le genre humain. L'amour? Ne lui en parlez pas, ce ne sont que des sentiments préfabriqués pour alimenter les réseaux sociaux et le cirque médiatique. 

Childish Gambino porte un regard sans illusions sur la sphère internet qui semble prendre le pas sur le réel. Car si son album hésite autant entre chaleur (Flight of the navigator) et froideur (The party), c'est qu'il vit la mutation d'un monde qui tire vers le 2.0 en détachant sa relation au réél. 

Aucune chance que "Because the Internet" vibre sur le dancefloor car le "nolife" y est normatif et ce n'est même pas un drame ou une satisfaction. Seulement un constat. 

Entre deux beats dans lesquels les voix disparaissent comme dans le monde de James Blake, dans une musique mouvante, des reflux d'âme remontent en surface par la grâce de quelques titres où même les environnements sont une preuve que le monde existe encore. 

Childish Gambino n'est pas un geek comme les autres, il fuit la matrice, et si le binaire tente bien souvent de mettre l'humain au pas, c'est une lutte sans merci qui se joue tout au long d'un album qui croit encore à l'espoir. 

"Because the Internet" est un album qui décrit un peu comme chez Kendrick Lamar, une transition, une position inconfortable: entre le souvenir de liens humains et leurs effacements dans la blogosphère et les réseaux sociaux. 

Cependant, l'espérance jaillit de chaque titres pour qui saura la percevoir. C'est le défi que nous lance l'artiste: voir derrière les beats, un envol d'oiseau ou des cloches qui sonnent le rappel des hommes. 

A nous ensuite de choisir notre voie.  

 

 

S.D

Monkey 3 

The 5th Sun

 

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