L'Art vise à imprimer en nous des sentiments plutôt qu'à les exprimer
Henri Bergson
Glasba
PINK FLOYD
The Endless River
Une barque sur un océan de nuages. Le Styx sur lequel Richard Wright navigue désormais? The Endless River, le nouvel album de Pink Floyd est presque entièrement instrumental et est un perpétuel hommage à l'homme des claviers mythiques du groupe. Beaucoup de compositions sont de lui et nous permettent donc d'apercevoir une autre facette du Floyd. Un album à la production comme toujours impeccable, loin du gadget que l'on craignait
THE NOTWIST
The Messier Objects
C'est le moment de vous signaler la nouveauté des allemands qui, moins d'un an après "Close to the glass" publient "Messier Objects", une anthologie de compositions à l'origine destinées au théatre, au cinéma et à des expositions. Un disque qui pourrait sembler four-tout mais qui au contraire prouve la souplesse de ce groupe capable d'insuffler de la recherche dans une electro-pop moins inoffensive qu'elle n'y paraît.
JOHN CARPENTER
The Lost Themes
Cinéaste qui compte une place à part chez Glasba, John Carpenter est aussi compositeur et musicien. La parution de ses "Lost Themes" est un vrai bonheur régressif. A ranger auprès d'un Giorgio Moroder par exemple
PASCAL COMELADE & THE LIMINANAS
Traité de Guitarres Triolectiques (à l'usage des portugaises ensablées)
Pascal Comelade est un trésor national. Il ne fait rien comme tout le monde, nage à contre courant et se fiche des modes. Il est capable de mélanger les influences de Michel Magne avec Pierre Henry comme sur cet extrait tiré de son nouveau disque "Traité de Guitarres Triolectiques (à l'usage des portugaises ensablées)" enregistré avec Les Liminanas. Jetez une oreille à la large discographie de ce compositeur hors normes, vous y trouverez le disque qu'il vous faut, c'est certain. De vrais moments de plaisir simple.
RONE
Creatures
Il vient tout juste d'offrir au public du Fil la primeur de ses nouvelles compositions que vous pourrez écouter sur "Creatures", l'album qu'il vient de publier. Rone est un artiste sans frontières, qui joue avec les sons sans jamais se perdre dans des labyrinthes qui le dépasseraient. Il jongle avec le meilleur de la variété, les textures les plus rugueuses du rock ou les arabesques les plus voluptueuses et garde pourtant cette patte inimitable. "Creature" succède au grand "Tohu Bohu" qui avait secoué la scène electro en 2012 et parvient sans peine à se hisser au même niveau d'exigence sans toutefois céder à l'opacité qui menace souvent un trop grand éclatement entre les genres. "Creatures" est un disque fort puisqu'il puise dans le creuset de la musique populaire pour la déconstruire en une nouvelle forme qui n'appartient aujourd'hui qu'à Rone.
Jessica Pratt
On Your Own Love Again
On a retrouvé la poésie chargée de folie de Syd Barrett. Jessica Pratt semble fascinée par le petit grain de sable qui enraye la machine, créant ainsi le chaos dans une musique devenue au fil des décennies trop lisse, trop sage, à l'usage d'un romantisme bon marché. Jessica Pratt, elle, appartient à la race des seigneurs, elle frôle le meilleur de la folk de Dylan et de Nick Drake, et se permet de superbes sorties de route à la rencontre de Danny Cohen, Daniel Johnston et Dave Von Ronk, tous ces D. fous de trop percevoir l'envers du monde. Ecoutez ces magnifiques fêlures, ces digressions schizophrènes et laissez vous prendre par cette artiste qui, même si elle appartient bien au prestigieux Family Tree de la Folk d'hier, reste bien une femme de son temps avec sa propre force, sa propre vision du chaos et des sentiments humains. Et si le chaos semble être pour elle un magnifique terrain de jeu, c'est pour mieux nous en montrer la beauté qui s'y cache. Moins évidente que dans la version romantico-nunuche mais tellement plus bouleversante.
SUMAC
The Deal
Bonjour à tous.
Les commerciaux du petit monde de la musique appellent ça du Doom Expérimental. Pour ma part, je préfère parler de la musique en tant que telle plutôt que de la réduire à des étiquettes qui ne veulent rien dire.
Si Sumac a choisi ce nom, c'est sans doute à cause des saveurs paradoxales et uniques que libère cette épice si particulière au teint rouge profond comme du sang. En effet, sa musique contient mille paradoxes et fait cohabiter les tourments les plus plus intenses avec un sentiment de sérénité presque morbide.
Leur nouvel album "The deal" contient tous ces écarts entre l'énergie du rouge et la profondeur moribonde du noir. Ouvrant dans un tonnerre de guitares assourdissantes bien qu'apaisées, le disque se déploie lentement sur 3 minutes qui font battre nos coeurs avec une excitation mêlée d'inquiétude. Puis, le tonnerre gronde, devient plus menaçant, les sons deviennent presque palpables dans ce déluge nébuleux de matières indéfinissables. ce sont là des sons pétrifiés, lourds et avec l'apparence d'être encore en vie. Ils battent, ils avancent avec leur lourdeur minérale, puis s'envolent comme si d'un seul coup ils ne pesaient plus rien.
"The Deal" est bel et bien un arrangement mais avec soi même. Un contrat que l'auditeur passe en secret avec sa propre intimité. Le groupe, lui, a ouvert la porte qui a laissé échapper une musique pareille. Le contrôle n'est plus logique, l'abandon devient la règle. Il faut se laisser malmener par ces sons, ce mélange de matières menaçantes et caressantes dans un même mouvement.
Et si on vient vous parler de l'extraordinaire technique des musiciens de Sumac, ne vous laissez pas berner. Elle est bien là , mais elle cache une clé: celle qui ouvre la boîte qui renferme les fabuleux trésors de ce disque violent certes, mais capable d'éveiller l'imaginaire comme peu d'autres l'ont fait récemment.
Faites l'effort, remettez le travail à l'ouvrage, écoutez le encore et encore et vous parviendrez à vous laisser emporter dans les tourbillons ravageurs de "The Deal".
SD
FLETCHER CORNELIUS
Si vous lisez Glasba, vous savez déjà que j'aime associer la musique à des images et ce n'est pas pour rien que Bergson est en ouverture du site avec cette phrase :" L'Art vise à imprimer en nous des sentiments plutôt qu'à les exprimer". Non que ce soit une manière de se défiler et ne pas avoir à se justifier de ses choix et de ce qu'ils nous inspire, mais j'ai une certitude: celle que derrière ce qui est montré, il y a toujours autre chose et que c'est en réalité cette chose qui nous émeut, qui s'imprime en nous.
Et je viens d'écouter un artiste qui couche tout cela de façon très concrète.
Fletcher Cornelius nomme sa musique avec des titres courts qui suggèrent ce que l'on va entendre. Libre à nous de le prendre au pied de la lettre ou pas, mais il est vrai que cette rivière qui s'écoule en charriant son lit et tant d'autres éléments impose l'image du tumulte qui dévale les pentes montagneuses et traverse les campagne avec un calme surprenant.
Il en va de même pour ce désert qui m'évoque celui de Monkopf avec sa menace dont on ne sait pas très bien si elle est humaine ou non, si l'alarme prévient d'un danger naturel ou pas.
Quant à Panic, c'est sans doute celui qui me fascine le plus. S'agit-il de la musique des effets intérieurs d'une panique qui s'empare d'un corps?
Quoi qu'il en soit, Fletcher Cornelius sait manier les textures pour dessiner des formes et des ambiances. Ces trois morceaux là sont de son propre aveux des essais mais quels essais! En laissant ce travail sur soundcloud, il perce une fenêtre vers un univers musical que l'on ne trouve plus que chez Constellation et quelques rares labels. C'est donc avec plaisir que je rempli ce matin ma fonction de partage et que je vous invite à vous laisser imprimer des sons, des ambiances et des textures (si chères à Glasba) des 3 titres que sont Desert, River et Panic.
CARRIE AND LOWELL
Sufjan Stevens
Il y a des disques qui procurent des émotions et d'autres qui en transmettent. "Carrie and Lowell", le nouvel album de Sufjan Stevens fait partie des deux catégories. Profondémént touchant, cet album néo folk permet à l'artiste de renouer avec ses meilleurs disques. Il parvient à réaliser un geste emprunt de beaucoup de risques: celui d'aborder la récente disparition de sa mère dans une suite de chansons autobiographiques qui ne sombrent jamais dans le misérabilisme ni le pathétique. Il en résulte au contraire une oeuvre lumineuse et triste, délicate et troublante. A l'image de son auteur. Un des monuments de l'année, c'est certain.
MUSIQUE DE FILM IMAGINÉ
Brian Jonestown Massacre
Un formidable hommage au Cinéma, à la nouvelle vague et aux compositeurs français comme François de Roubaix ou Georges Delerue. C'est ce que délivre le dernier opus de Brian Jonestown Massacre. "Musique de film imaginé" (le titre est en français!) est un album à part entière, plus qu'une digression ou qu'un caprice d'un groupe hyper-actif. Il fond en un creuset, la musique du groupe d'Anton Newcombe, celle des grands compositeurs français et une image du 7ème Art tout droit sortie de "La Politique des Auteurs". L'album parfait pour Glasba, vous vous en doutez bien.
The Monsanto Years
Neil young & Promise of the real
« People want to hear about love » assène Neil Young dans son nouvel album paru début juillet. Mais pas que. Les gens veulent qu'on leur parle d'amour certes, mais aussi qu'on les tiennes en éveil, qu'on leur parle d'eux, qu'on se soucie d'eux. Il faut se méfier des mots d'amour, surtout quand ils nous vendent quelques choses, qu'ils nous abreuvent de promesses et qu'au final, il nous cahcent quelque chose et nous mentent.
Neil Young n'est pas dupe, pas du genre à ronger son frein non plus et il sait qu'il peut toujours compter sur une audience fidèle. Alors, quand il s'attaque aux mensonges de Monsanto et des compagnies qu'elle tire dans son sillage (Starbuck en prend joliment pour son grade), il faut s'attendre à ce que les chansons ne rivalisent pas avec celles d'un album d'ABBA.
La santé, l'écologie, la finance l'économie, la politique ; tout ce qui passe au grill de la colère et de l'écoeurement de Neil Young est intelligemment maltraité pour braquer la lumière sur les mensonges, les falsifications et les arrangements moraux pour générer le seul profit financier au détriment des populations, de notre santé et de la survie des espèces animales ou végétales.
Musicalement, rien à redire, bien au contraire. Les guitares y sont grandioses, la rythmique avance inexorablement comme au combat et la voix fêlée brise les mensonges un à un.
On y entend parler d'autisme causé par la firme fabricant le Roundup, de ces parcelles de terre confisquées au profit de l'agriculture intensive, de ce commerce inéquitable dont Starbuck est familière en assénant le contraire.
Le bilan, c'est nos morts, notre avenir de plus en plus incertain mais dans une danse macabre dont Neil Young se fait l'ordonnancier et se plaît à jouer le chef d'orchestre pour notre plus grand plaisir mais aussi le sien.
Un grand cru.
S.D
Rhum Rhapsody
Rgum Runners
Dans les années 80 vous étiez parmi ceux qui levaient leurs verres en hurlant approximativement les paroles des chansons de Soldat Louis ? Alors vous allez être déçu par les Rhum Runners. Car chez eux, les femmes sont stripteaseuses certes, mais rien de scabreux, non. On s'attend à voir arriver Jean Harlow, Lana Turner, Jennifer Jones ou encore qu'Ava Gardner surgisse de La nuit de l'iguane entourée de ses deux boys. Puis, les rythmes accélèrent leur cavalcade autour du monde, rangeant les déhanchés langoureux pour d'autres plus solaires, plus primaires, plus tout.
C'est ça les Rhum Runners, l'élan permanent d'un rock voyageur qui traverse les genres, les époques et les corps à la vitesse du 33 tours. C'est le plaisir de retrouver l'essence de la surf music, du son garage et un burlesque authentique en un seul disque. Tous ces plaisirs qui filent sous la pointe gourmande d'une platine qui s'ennuyait ces derniers temps de ne pas être en contact avec un disque profondément épicurien, à l'ADN de globe-trotteur. Cette Rhapsody est la chose la plus plaisante qui nous soit arrivé de France ces derniers mois. La simplicité et la pureté du bonheur sur vinyl en somme.
S.D