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PAT METHENY UNITY GROUP

KIN

Ce qui frappe dès la première écoute du 20ème album de Pat Matheny et second avec cet ensemble, c'est la cohésion. Car "KIN" a beau donner l'impression d'une immense improvisation, il n'en n'est pas moins méticuleusement écrit. Sa précision est telle que la démocratie qui règne au sein de l'ensemble en est tout simplement remarquable et tombe sous le coup de l'évidence. 

Le guitariste s'y adjoint les services de Chris Porter (surtout pour son talent au saxophone ténor et à la clarinette basse), Antonio Sanchez pour sa maîtrise des percussions, l'immense bassiste Ben Williams, et enfin, le multi-instrumentiste Giulio Garmassi qui, en plus de prendre en main les parties de piano, trompette, clarinette, Wurlitzer, cor, flûte et vibraphone, n'hésite pas à donner de sa personne en y ajoutant la voix. 

Sachant que c'est Metheny lui-même qui produit ce projet, on ne peut que louer son talent d'arrangeur et d'artisan d'une musique qui visite chaque instrument comme s'il était un individu au milieu d'une cité cosmopolite. 

Partant d'influences divers, il en profite pour refaire un parcours à rebours et nous renvoie à toute son immense discographie qui, si riche soit-elle n'avait jusqu'alors jamais été aussi loin dans l'exploration musicale. 

Le mot "Unity" convient donc parfaitement à ce groupe qui nous donne à voir des horizons multicolores, hétérogènes mais qui au bout forme l'image nette et précise autant qu'un tableau figuratif. 

Un disque donc, ample et plein de cette âme chaleureuse et ouverte que Metheny souhaitait lui donner. Une immense réussite et une oeuvre majeure dans la carrière du guitariste.

S.D

 

 

Kangding Ray

Solens Arc

La semaine Modulor

Ellen Alien, Paul Kalkbrenner, Miss Kittin..... La scène berlinoise est riche d'une techno hétéroclite sur laquelle étrangement les français gardent une emprise et une vision singulière. Kangding Ray fait donc partie de ces frenchies qui manipulent le potentiomètre et la boucle dans l'optique de construire une musique à l'image de cette ville toujours écartelée entre rigueur et modernisme. Ou comment fuir l'oppression dans la transe et la répétition. Cet antagonisme, Kangding Ray le saisit sur Solens Arc dans un déluge de sons manipulés, triturés, et répétés jusqu'à l'épuisement. 

Marquant l'album d'une techno progressive sans jamais être anxiogène, il forme des structures à la fois taillées pour le cérébral et le physique. Soit une musique intelligente qui n'empêche jamais le corps d'exulter.

Solens Arc est en définitive un album qui conviendra au mieux aux fans d'un Kalkbrenner tant son minimalisme associé à un sens de la rythmique renvoi à l'essence même des nuits sans fin berlinoises. Des nuits hantées, schizophrènes, entre désir et fin du monde. L'euphorie épicurienne dans toute son élégance et toute sa vérité. 

S.D

 

 

Pale Grey

Best friends

La scène belge est en pleine forme ces temps-ci. Bénéficiant d'un passé récent glorieux avec le succès international de dEUS, Ghinzu, Flexa Lyndo, Absynthe Minded, Balthazar, Puggy ou encore Applause, il est normal que quelques groupes tentent la percée européenne ou même outre-manche. 

C'est le cas de Pale Grey et de leur premier album "Best Friends".

Titre évocateur car il reflète l'amitié sans faille qui existe depuis l'enfance au sein de ce quatuor qui ne connait aucune frontière entre la pop, le rock et l'electro. 

A l'instar de certains de ses concitoyens comme Balthazar ou Puggy, ces amis là ont décidé de faire de la musique dans un unique but: celui de se faire plaisir. Et cette démarche les honore puisque leur énergie et leur légèreté sont communicatifs. 

"Best Friends" est un disque de pop qui s'aventure parfois dans un hip-hop classieux, un mélange d'électro rock et de pop sans prétention. 

La suite de morceaux qui composent l'album est le résultat d'une alchimie qui transforme les rythmes en moments de folie presque incontrôlable. 

On aime cette légèreté, cette pop régressive qui sent bon la scène et la gratuité du bonheur le plus simple. 

Il y a fort à parier que Pale Grey marchera dans les pas de ses prédécesseurs les plus récents et rencontrera le public avide d'une musique décomplexée, dansante; en un mot heureuse d'exister. 

Ecoutez "Best friends" une fois et vous comprendrez l'évidence de cet album qui passe comme une fulgurance, un instant d'évidence. Un disque qui fait un bien fou, réchauffe le corps et apaise l'esprit. 

S.D

 

 

La semaine Modulor

Piano Club

colore

La semaine Modulor

On reste en Belgique avec Piano Club et l'album "Colore" sorti récemment. Ce n'est pas un coup d'essai et on peut même dire que le groupe n'a rien d'anecdotique puisqu'il est sous la houlette de d'Anthony Sinatra des Hollywood Porn Stars. 

Composé de 3 membres, Piano Club possède une capacité hors norme à se remettre en questions à chaque titre. Autant dire, donc, que "Colore" est un album vivant et en perpétuel mouvement. L'influence de la pop canadienne et celle du rock des 70's joue ici un rôle prépondérant  dans le luxe affiché qui caractérise ce disque sur lequel chaque chanson représente une couleur, une teinte unique. 

Véritable feu d'artifice, "Colore" multiplie les morceaux amples et va parfois jusqu'à les étirer vers un psychédélisme qui semble devenir le but ultime du trio tant sa recherche du baroque et du multicolore semble imprégner le déroulement des 10 titres. 

Rigolards, les Piano Club tentent même l'hymne à Olivia Newton John et le réussissent en n'ayant jamais peur d'aller trop loin dans le grandiloquent. 

Décomplexée, la pop du groupe semble prête à en découdre avec l'éclosion d'un printemps qui tarde à réapparaître. Tout virevolte dans leur musique et l'on a peine à croire que ces trois là ne fassent pas bientôt de l'ombre à des Of Montréal ou des Broken Social Scene. Il parviennent même à nous transporter dans un univers qui évoque le meilleur du technicolor façon "Magicien d'Oz" avec sa galerie de décors, de personnages et son sens imparable d'une musique pop qui n'existe que pour le seul plaisir d'être. 

Avec "Colore", Piano Club réchauffe le crépuscule de l'hiver et nous donne même à entendre parmi les chansons les plus enthousiasmantes de ces derniers mois. 

Riez, chantez, dansez au son de cette étrange fanfare bigarrée, délicieusement désuète, pleine de déserteurs dont les trois membres restants auraient pris la place de tout l'ensemble sans que les spectateurs le remarquent; au plus grand amusement de ces trublions qui se moquent bien des époques et des lieux pourvu qu'ils s'amusent et fassent danser les autres sous leur arc-en-ciel musical. 

S.D

 

 

Birth of Joy

prisoner

La semaine Modulor

Revoilà le groupe néerlandais inclassable. Toujours entre stoner et blues-rock, le trio brouille les pistes une fois de plus avec ce "Prisoner".

Car nul prisonnier à l'horizon musical de ce groupe. Si le premier titre "the sound" nous cueille d'emblée là où le groupe nous avait laissé il y a quelques mois, il va vite s'avérer que l'album prend rapidement des chemins de traverse pour emmener les compositions de Birth of joy sur de nouvelles pistes. 

Bien sûr, l'ombre de The Doors plane toujours sur le trio grâce aux claviers "façon" Ray Manzarek et à la voix de Stunnenberg qui ressemble parfois à s'y méprendre avec celle de Jim Morrison. Mais Birth of Joy n'est pas la pâle copie du groupe californien (qui n'a de plus pas mes faveurs). Non, le trio ne se contente pas de quelques effets ici où là pour épater la galerie, il insuffle une énergie à ses morceaux au moins aussi forte que celle que met Queens of the Stone Age dans ses albums jusqu'à Songs for the Deaf. 

De plus, cette énergie redouble d'efficacité grâce à une production vintage à la mesure d'un album qui se veut loin de tout, y compris du passé du groupe. Car si celui-ci redoute bien une chose: c'est de devenir prisonnier de son propre son, de sa propre aura. 

Pari gagné, il parvient à s'évader et à nous emporter avec lui dans sa folle cavale aux confins du blues-rock.

Un album libre, donc. Qui fait de Birth of Joy un trio sans chaînes, un tourbillon de poussière qui vole aussi loin que le vent de sa musique pourra le porter. Suivez les traces que laisse ce "Prisoner", vous serez surpris par les ponts qu'il dresse sur son chemin pour pouvoir l'inventer à chacune des chansons qui sont comme des pas vers un horizon qui se dévoile lentement. Un chemin que l'on prendra plaisir à suivre au fil des écoutes successives de ce disque monumental sans jamais être monolithique.  

 

 

S.D

 

 

Linda Perhacs

the soul of all natural things

Ceux qui se souviennent du superbe retour de Vashti Bunyan il y a quelques années savent qu'il existe encore quelques miracles au pays de la musique. 

Celui de Rodriguez en 2013 est encore dans toutes les mémoires. Mais encore celui de Suggie Otis et de la formidable réédition de son "Inspiration Information", celui de Bill Fay en 2012 qui lui permettait de nous enchanter pour la première fois depuis 1970 grâce à un "Life is People" qui nous agite encore. 

Cette même année 1970 durant laquelle un disque intitulé "Parallelograms" parut et fut aussitôt oublié, jusqu'à ce que quelques aficionados comme Devendra Banhart nous invitent à le redécouvrir il y a quelques années. 

Conseil avisé puisque le disque en question est un véritable émerveillement et laisse entendre une voix surnaturelle sur laquelle le temps ne semble avoir aucune prise, pas plus que les modes. Un monde éthéré, irréel qui laissait l'auditeur en extase devant tant de pureté et d'apparente innocence. 

2014. "The Soul of all natural Things" parait.  Sur sa pochette en noir et blanc: le portrait d'une femme. Coiffure improbable, visage émacié, le temps passe discrètement dans ce regard et ce sourire qui filent vers l'horizon d'une campagne à peine suggérée. 

On écoute les premiers morceaux et nous voici emportés dans une alchimie qui mêlent la douceur d'une voix, des choeurs en échos surmontant des mélodies désuètes nappées dans un psychédélisme discret. Une fraîcheur naïve nous parvient, et nous laisse deviner une jeunesse éternelle que la pureté ainsi fabriquée nous fait apparaître comme réelle et plausible. On ne doute pas un instant que cette candeur, ce sourire éternel que nous laisse entrevoir les chansons puissent être le souvenir de cette femme sur la pochette. Souvenir mis en scène avec charme par une jeune chanteuse, un groupe sorti d'une "hype" quelconque à laquelle nous aurions échappé. 

Et puis les images se mettent à répondre à d'autres plus anciennes. On recolle les morceaux, on tend des ponts, on connecte le tout. Cette voix, cette fraîcheur, cette magnifique foi dans le désuet, ce monde désaccordé, en rupture avec l'époque et pourtant tellement en raccord avec notre temps. Tout cela reforme l'image de ce "Parrallelograms" à propos duquel on nous avait bien dit de faire attention! Alors, tout s'éclair d'un jour nouveau: ce visage anguleux, ce sourire et ces yeux pleins de mélancolie ou d'espérance (à moins que ce ne soit les deux à la fois). Cette femme sur la pochette, c'est toujours elle: Linda Perhacs qui semble dire au temps :"Va, file! Je me moque bien de toi. Ce corps, tu finiras bien par l'avoir. Mais cette voix, ces images, mon regard. Tout cela t'échappera toujours. Je suis hors de toi." . 

Ainsi, donnons raison à cette existence loin du temps, Ã  cette musique loin des modes et partageons l'ironie de cette femme devenue dentiste qui nous propose de revenir des limbes avec cet album superbe qui frappe par sa densité, ses paradoxes, et son atmosphère magique et éthérée qui nous poursuivra quelques mois c'est certain....Avant de revenir nous hanter dans quelques temps et sur des années. Tout comme l'a fait son aîné.  

S.D

 

 

Elysian Fields

FOR HOUSE CATS AND SEA FANS

La semaine Differ-Ant

Malin, sexy et élégant. C'est de cette manière que je décrirais volontiers le duo new-yorkais Elysian Fields dont le dernier et neuvième album vient tout juste de paraître.

Je ne reviendrai pas sur la filiation latente qui existe entre ce duo et Mazzy Star. Car si de loin la référence paraît juste, je ne vois que très peu de rapport entre le velours d'Hope Sandoval et la voix mutine de Jennifer Charles. 

Toujours entre folk downtempo et jazz langoureux, Jennifer Charles murmure les textes avec cette pointe d'insolence qui fait une grande partie du charme d'Elysian Fields. C'est cette petite touche velvetienne qui fait que l'on adhère presque immédiatement aux chansons transgenres qui parcours cette album qui avance à pattes de velours comme le chat de la pochette. La caresse se révèle piquante quand l'alchimie des compositions d'Oren Bloedow et du chant se mue en un périple allant de la folk la plus rurale au jazz le plus urbain.

C'est en effet un véritable miracle de voir ces deux univers se croiser et s'amadouer sous nos yeux jusqu'à une fusion presque totale. 

Il suffit juste de quelques mesures pour que la voix suave et iconoclaste de la chanteuse se mette à lier le tout dans un nouvel élément que nous prenons plaisir à voir naître.

Elysian Fields n'a donc toujours pas fini de nous surprendre et nous permet même de dire qu'ils signent leur meilleur album depuis Bum Raps and Love Taps en 2005. 

De Plus, ce n'est pas un hasard si cet album parait  sur le très bon label bordelais Vicious Circle, car ce duo là est bien loin de tourner en rond. 

 

S.D

 

 

Sisyphus

Sisyphus

La semaine Differ-Ant

Trois S, trois semaines (la limite de travail imposée pour la totalité de la création de l'album), trois univers différents.

Sisyphus est le résultat de ce projet fou et improbable qui réunit donc le flow du rappeur Serengeti, l'electronica de Son Lux et la folie douce pleine de poésie de Sufjan Stevens, le tout sous les auspices de ce dernier et de son label Asthmatic Kitty. 

 

On a beau savoir qu'avec Sufjan Stevens rien ne semble impossible, il nous était tout de même permis de douter de la réussite d'un tel mélange. 

Pourtant l'osmose entre les trois fonctionne à merveille tout au long de morceaux qui laissent à chacun la possibilité de s'exprimer dans son propre langage. Car ce n'est pas la fusion qui est ici recherchée, mais la cohabitation qui mène ici à une sorte d'universalité de la musique populaire et urbaine.

La pop symphonique de Sufjan Stevens s'étant déjà confrontée à l'électronique au cours d'albums quasi expérimentaux et plus que réussis (The Age of Adz, B.Q.E ), nous ne sommes que peu surpris des chemins que l'artiste de Brooklyn emprunte au grés de ses pulsions musicales. Ce qui nous étonne plus ici, c'est la confrontation du radicalisme, auquel nous avait habitué Serengeti, avec cette pop lumineuse assombrie par l'electro dark de Son Lux. 

La conjugaison de ce rap radical, de cette electronica sombre et angoissée, de cette folie poétique pleine de choeurs et de lyrisme, c'est en cela que le pari du trio est réussi. 

En effet, si la noirceur des travaux de Serengeti et Son Lux sont le reflet musical d'un Sisyphe qui se trouve condamné à la répétition, à l'éternel recommencement du geste et du mot, l'intervention de Stevens renvoie à Camus lui même et son fameux: "Il faut imaginer Sisyphe heureux". C'est alors la révélation (et la valeur) de ce disque: malgré les apparences, ce Sisyphus est heureux grâce à un miracle. Celui qui naît de la rencontre et du télescopage des genres, des préoccupations et des univers a priori tous différents mais qui par la poésie et le dialogue parviennent à mettre de la lumière dans ce qu'il y a de plus noir et de plus désabusé. 

Un album qui ne peut que convenir à Glasba et qui comptera c'est certain comme une étape essentielle dans le voyage en musique de 2014. 

 

 

 

S.D

 

 

Micah P.Hinson and the Nothing

micah p.hinson and the nothing

La semaine Differ-Ant

Lorsqu'il apparaiî en 2004 avec son album "The Gospel of Progress", une aura baudelairienne précède Micah P.Hinson. Né au début des années 80, l'homme a déjà vécu mille vies. Il a connu la rue, la prison, la drogue et est surtout un formidable songwriter qui décline sa vision du monde avec un talent remarquable. S'ensuit alors une suite d'albums inégaux mais qui renferment tous des instants de grâce qui suintent de la noirceur des histoires racontées. 

En 2011, il survit à un grave accident de voiture alors qu'il se trouve en Espagne. Il perd momentanément l'usage de ses mains mais rien n'arrête son besoin de musique et il entreprend malgré tout de continuer sans utiliser ses 10 doigts. Il s'entoure de musiciens qu'il aime et commence à travailler sur des ébauches qui deviendront ce disque qui sort en ce début d'année sur le label français Talitres qui compte déjà Stranded Horse, Motorama, The Wedding Present et Emily Jane White à son catalogue. 

 

La formation s'appelle désormais Micah P. Hinson and the Nothing et les mains du musicien sont de nouveau en état de marche pour notre plus grand bonheur. 

Car en osant un rock décomplexé et plus sûr de lui, une étape se franchit avec cet album. On connaissait la propension de Micah P. Hinson à ne pas se coller d'étiquette (dans la vie, il est tour à tour un défenseur des libertés ou un réactionnaire chevronné, un arpenteur de chemins ou un homme rangé et marié...), et la preuve en est encore faite avec ce disque qui nous permet de retrouver toute la poésie que l'on aime chez lui, mais aussi une rage qui explose enfin à sa juste mesure. 

Bien entendu, pour qui connait bien la discographie de l'artiste, la rage est un élément connu mais rarement maîtrisée. Jusqu'ici, elle était soit retenue par un angélisme qui menait à une forme d'auto-censure, soit elle débordait dans des digressions jusqu'à s'y noyer.

Sur cet album, rien de tout cela. La beauté prouve qu'elle peut se nicher tout autant dans la balade que dans les guitares saturées. Les mots sont pour beaucoup dans la construction mentale de la musique d'Hinson. A la manière d'un Mark Linkhous ou d'un Vic Chesnutt, il sait que le tragique peut se vêtir d'oripeaux qui le font se confondre avec la grâce. Ces oripeaux à lui, ce sont les mots. Crus, cinglants, désabusé, violents; ils forment une seconde musique qui cherche à recouvrir la première. Une musique immatérielle, sans notes. Une musique de l'inconscient. Comme un rêve qui se mélange à la réalité. 

De ce fait, Micah P. Hinson and the Nothing est un album qui transperce la couche du fantasme pour mettre à nue une vie pleine de tout. De gris, de noir parfois, mais aussi de joie et d'un nouvel ingrédient que l'on soupçonne: l'espoir.

En s'entourant d'une formation qui lui est tout acquise mais qui se comporte comme le membre d'un corps qui posséderait sa propre vie, le chanteur découvre des pistes jusqu'ici cachées par les ronces de sa propre existence. 

 

C'est donc tout en restant lui même mais en entreprenant un nouveau virage que Micah P.Hinson revient avec un album fort de sa schizophrénie enfin sous contrôle, un disque qui une fois de plus frappe par son élégance, une nouvelle leçon reçue de l'homme aux mille vies loin des clichés et des genres.

Un album qui existe dans l'espace mystérieux et bouleversant de la liberté.

 

S.D

 

 

We Insist

we insist

La semaine Differ-Ant

Fans de Fugazi, précipitez vous chez votre disquaire! Le nouvel album de We Insist est dans les bacs.

 

Sans titre, ce disque confirme la tendance du groupe à jouer fort sur un rythme ramassé, lourd et percutant. 

Dès les premières secondes, en effet, l'ambiance est posée. La batterie se dispute avec une guitare et une basse qui viennent tout droit du groupe post-punk. La voix scande des textes nihilistes, qui ne sont pas sans rappeler SOAD et la rupture de tons crée paradoxalement un rythme qui ajoute au côté sombre et revanchard des morceaux. 

Frôlant le rock bruitiste sans jamais tomber dans l'inaudible, We Insist enfonce bel et bien le clou d'un rock puissant qui n'oublie jamais de mettre en avant son sens mélodique.

 

Le choc de ce disque à lieu immédiatement. Nous sommes comme aspiré par la spirale rageuse que crée le groupe et descendons avec lui dans les abysses d'un rock froid et séminal. Autant dire, alors qu'en tant qu'auditeur le confort est spartiate dans ce voyage au coeur de ce monde ascétique qui cherche la vérité de l'obscurité  dans une apologie urbaine de la lente déshumanisation de nos sociétés. Cette vérité, nous l'atteignons dans un jeu de guitares paroxysmiques qui parlent un langage crypto-rock qui ne résonne plus guère de nos jours dans le paysage musical.

Album court et radical, il parvient à se mouvoir dans le béton comme si celui-ci était un élément fluide. Les chansons se suivent dans un mouvement en avant qui nous mènent vers l'essence d'un rock frontal capable de peindre en noir les stigmates de notre conscience collective.

 

Il ne faut pas passer à côté de ce monstre, ce golem musicalement construit pour nous dévoiler l'envers d'une société cachée derrière la façade médiatique. Lorsque nous touchons la source de ce rock là, il est déjà trop tard. Le mal est fait, l'album est en nous et nous ne pouvons plus reculer. Même la pseudo-balade désaccordée "First Draft" procure cette gêne coupable qui nous place dans la position de témoin de la destruction annoncée du beau. 

Pourtant, on en redemande, maintenant que l'on sait que la beauté n'est pas dans les archétypes annoncés par le monde qui nous entoure.

Punk à sa manière, We Insist prouve qu'ils sont le grand groupe de rock culte hexagonal qui prend au pied de la lettre le terme d'alternatif qui leur va si bien. En soufflant sans arrêt le chaud et le froid, ils parviennent à exprimer par leur musique les états bipolaires d'un monde qui devient fou à force de ne plus savoir où il en est.

 

Il faut alors remercier ces héritiers de Fugazi et The Ex de nous laisser entendre ces moments fascinants de noise qui ne laisseront pas indifférents et que nous avons hâte de découvrir sur scène tant cet album, plus qu'aucun autre, ne demande qu'une chose: être libre et s'échapper dans des accès de fureur improvisées pour mieux en découdre avec le mythe et l'angélisme qui obstruent notre regard d'une vérité sombre mais fascinante.

 

S.D

 

 

The Pirouettes

l'importance des autres

Les synthés sont de retour.

Avec Lescop, La femme, Aline et bien d'autres, la scène française ne cesse de réinventer la pop d'autrefois. Littéralement fascinée par les années 80, elle court après une époque que ses acteurs n'ont la plupart du temps pas vécue en direct. Il en découle donc une sorte de fétichisme pour des années fantasmées remises au goût du jour. Le problème, c'est qu'un paradoxe s'instaure: celui de croire que la variété française ne se réduisait qu'à cela. Exit donc Jad Wio, les VRP et toute la scène garage et alternative. Ne reste dans l'imaginaire de ces jeunes groupes que le son froid, binaire et vide du synthétiseur. 

 

Là où The Pirouettes se démarquent, c'est dans leur approche ouvertement élégiaque d'idoles personnelles et d'une musique hédoniste résolument portée vers une jeunesse ego-centrée, bien loin des grands questionnements métaphysiques. 

 

Jacno et Ellie, Etienne Daho, Lio... sont pour eux la base de leur musique telle qu'ils l'entendent. C'est donc dans cette logique que "l'importance des autres" joue la carte des hommages à répétition (y compris celui aux Rita Mitsouko, ici transformés en groupe New Wave de fin de soirée).

Ridicule? Pas vraiment. En établissant un parallèle entre les années 80 (grande époque désabusée et cynique) et celle d'aujourd'hui; puis en y ajoutant la recherche obsessionnelle du groupe chez la génération Y, The Pirouettes créent un amalgame qui fait résonner leurs illustres références dans le monde désenchanté d'aujourd'hui. 

 

En intitulant l'album de la sorte, ils parviennent à rendre de la dualité qui existe entre le désir de l'autre et celui de la solitude froide et conjointe aux grands principes de l'ère du temps. Ce temps qui fait cohabiter réseaux sociaux, soif de l'autre et autarcisme. Ou comment vivre ensemble en vivant dans une bulle aseptisée par le triomphe du smartphone, du casque et de l'open-space (véritable paradoxe du travailler ensemble mais isolé). 

 

The Pirouettes choisit la danse, les soirées entres amis, le couple pour s'épanouir et c'est dans une série de rythmes et d'ondes glaciales qu'ils trouvent l'énergie nécessaire à leur apologie du vivre ensemble et d'un hédonisme relatif.

 

Bien sûr, ils ne parviennent pas à effacer ce côté branché des nuits parisiennes qui colle à la peau de ce genre de musique, mais ils auront au moins eu le mérite de nous sortir de l'ornière nihiliste de La Femme, Lescop ou Fauve, qui tentent toujours sans y parvenir de nous faire prendre la Cold Wave pour un abyme musical aux textes passablement lourds et irradiés d'une cendre tenace. The Pirouettes, eux, veulent danser et vivre. Et c'est déjà une entreprise honorable.

 

S.D

 

 

Susheela Raman

Queen Between

 

Toujours en recherche d'une réconciliation des cultures pakistanaises et indiennes, Susheela Raman va plus loin avec "Queen between" en redécouvrant le mysticisme qui traverse la culture de cette région d'Asie qu'elle a arpentée et étudie avec une rare conviction. 

 

Elle s'adjoint ici les services de musiciens héritiers de Nusrat Fateh Ali Khan ainsi que ceux de britanniques, du violoncelliste Vincent Segal (Bumcallo, M, et des collaborations avec Ballake Sissoko...) et du prince de l'Afro-beat Tony Allen. Tout ce petit monde est là dans un projet qui mêle les diverses traditions asiatiques et occidentales et loue la transe mystique du qawwali, mélange de soufisme et d'hindou qui baigne ici dans un registre universel. 

 

Se fichant comme d'une guigne du communautarisme et des conventions, elle porte comme à son habitude ses chansons d'une voix pure et puissante qui élève l'ensemble sans céder au charme du mélange musical. 

 

Pour qui à déjà vu Susheela Raman sur scène, elle sert sa musique plus qu'elle ne se l'approprie en lui laissant tous les moyens d'une expression autonome. Cette particularité, nous la retrouvons pleinement sur "Queen between" enregistré en conditions de direct, ce qui permet à l'auditeur de se perdre dans les méandres extatiques des compositions de la londonienne.Car c'est un flot de rythmes, de sonorités et d'ambiances a priori antagonistes qui se croisent ici pour laisser la place à un Å“cuménisme qui bouleverse littéralement. 

 

Tantôt enjouée, tantôt contemplative, Susheela Raman nourrit son album de toutes les nuances que peuvent apporter son alchimie. Et c'est dans ces ambiances multiples et souvent fascinantes que nous vibrons avec elle dans une musique sans frontières ni nations, une oeuvre humaine et riche comme le monde dont rêve l'artiste et particulièrement sur ce disque qui reste son meilleur depuis "Music for Crocodiles" en 2005. 

 

S.D

 

 

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